Je viens d’apprendre, avec tristesse, la disparition brutale de l’immense Mamadou Aliou Barry plus connu sous le sobriquet de « Maître Barry », par allusion à la profession d’enseignant qu’il a exercée, dans une autre vie, entre Forécariah, Coyah et Conakry, la capitale où il est né il y a 75 ans.
Je me souviens surtout d’une des toutes dernières conversations que j’ai eues avec ce grand Monsieur débonnaire et qui était l’ami de tous ceux qui l’approchaient, pour peu que la conversation tourne autour de sa grande passion : les instruments à vent.
Maître Barry se produisait régulièrement, en soirée, dans l’ambiance feutrée d’un cadre aménagé à Kipé Dadiah par le grand-frère Justin Morel Junior (JMJ). Un jour, il me confia, durant un intermède, sa crainte de voir la dynastie des grands saxophonistes guinéens disparaître, faute de candidats à la formation…
Une vingtaine d’années plus tôt (en 2003), au Centre culturel franco-guinéen (actuel Espace Sory Kandia Kouyaté), tous les passionnés de jazz avaient pu assister au symbolique passage de témoin entre l’ancien chef d’orchestre du Kaloum Star et son illustre aîné, l’inimitable Momo Wandel Soumah, une icône que tout le continent africain pleure encore…
Cette nuit là, l’ex patron d’African Groove s’était chargé de redonner un nouveau souffle au saxophone orphelin de « Papa Momo Wandel » (décédé quelques jours plus tôt), devant un public admiratif et surtout soulagé de constater que l’héritage guinéen était préservé.
Je dois vous avouer que je me déplaçais discrètement souvent d’un lieu à un autre, à Conakry ou ailleurs, pour écouter les sons (imités ou créés) par Maître Barry, à l’aise aussi bien à la clarinette, à la trompette, à la flute et bien entendu en jouant de l’instrument qui a fait sa renommée dans le monde entier : le saxophone. Quel talent !
A chaque fois que le musicien décelait ma présence quelque part, il avait toujours ce clin d’œil, ce pouce levé et parfois se déplaçait pour échanger avec moi, le fan de Charlie Parker, Miles Davis et John Coltrane, quelques mots bien aimables.
En ce musicien exceptionnel, j’ai toujours admiré l’humour, la passion, la créativité et le sens de l’improvisation. Il est de ceux qui ont bonifié la musique africaine en portant haut les couleurs de leur pays, dans tous les festivals organisés à travers le monde – parfois porté en triomphe par un public admiratif à la fin d’une prestation aboutie !
Il est, malheureusement, de ceux qui ont souffert en silence du manque de considération des musiciens guinéens chez eux, alors qu’ils sont portés aux nues sous d’autres cieux.
A ce propos, une anecdote me revient à l’esprit. Un jour, je me promenais nuitamment dans une capitale africaine quand une longue file d’attente a attiré mon attention. Renseignement pris, c’était le Bembeya Jazz qui se produisait dans un grand complexe hôtelier…
Quelques semaines auparavant, à Conakry, la prestation de Sékou Bembeya (un des piliers du Bembeya Jazz) était chahutée au palais du peuple par une partie du public, visiblement habitué à consommer n’importe quoi, sous les regards sidérés de ceux qui vouent un respect sans limite à ce guitariste incroyable. « Si les autres ont Carlos Santana, la Guinée et l’Afrique ont Sékou Bembeya ! », fulminait quelqu’un dans le public, en colère contre les perturbateurs.
Je ne saurais mettre un terme à cet hommage sans présenter mes condoléances les plus attristées à sa famille, à ses proches et à certains de ses amis que je connais : JMJ, Tabassy Baro, Jean Baptiste Williams, et j’en passe. Je suis conscient que vous traversez une dure épreuve mais j’espère que vous trouverez consolation, non pas en pensant au vide laissé par Maître Barry, mais à l’impact indéniable qu’il a eu sur la musique guinéenne, africaine et mondiale. Son souvenir restera gravé dans nos cœurs. A jamais…
Saliou Samb