Aliou Bah fait une lettre ouverte au Colonel Mamadi Doumbouya

Au vu de la situation dans laquelle était plongée notre pays, le coup d’État du 5 septembre, en plus d’avoir été applaudi et célébré par le peuple, il avait aussi suscité beaucoup d’espoir. D’ailleurs, votre discours lors de la prise du pouvoir et la libération des détenus politiques laissaient entrevoir un changement majeur pour notre cher pays. Mais, mon colonel, depuis le 5 septembre de l’eau a coulé sous les ponts et il faut bien reconnaître que votre fameux discours et son cortège de promesses sont devenus de vagues et lointains souvenirs.

L’euphorie des premiers mois est passée et l’espoir a laissé place au désespoir. Les mêmes maux qui ont justifié votre prise du pouvoir : la corruption, l’injustice, la privation de liberté, la méfiance des citoyens vis-à-vis de l’État, sont encore légions dans notre pays. Pire, la justice dont vous souhaitiez faire la boussole, elle est portée disparue mon colonel. Les assassinats des manifestants continuent, alors même que vous aviez prétendu qu’aucun Guinéen ne tomberait encore sous les balles. D’ailleurs votre garde présidentielle est directement accusée d’avoir tué un manifestant dans la banlieue de Conakry. En lieu et place des arrestations des assassins des manifestants, ce sont des acteurs socio-politiques qui croupissent dans les geôles de la maison centrale de Conakry depuis des mois, sans le moindre procès. Pendant que certains citoyens sont empêchés de quitter le pays, des acteurs politiques, non des moindres et avec lesquels selon vous, vous voulez mettre en place un cadre de dialogue, sont poursuivis et mis sous contrôle judiciaire. Mon colonel, pensez-vous avoir rétabli les libertés individuelles et collectives ? Mon colonel, pensez-vous avoir rétabli le rapport de confiance entre les citoyens et l’État ?

Mon colonel, nous sommes encore loin d’une nouvelle Guinée réconciliée avec elle-même, tant que des citoyens continueront d’être brimés et d’autres à pleurer leurs frères, leurs oncles, leurs pères, leurs fils, leurs maris,.. Ces familles ont soif de justice pour apaiser leurs douleurs et tenter de refermer leurs cicatrices. Mon colonel, en essayant de museler toutes les voix discordantes,  vous et votre gouvernement marchez sur les pas de l’ancien régime, celui-là même que vous avez renversé. Apparemment les erreurs du passé nous suivent continuellement, comme celle de la personnalisation du pouvoir, aujourd’hui force est de constater que des plaques à votre supposée gloire habillent les bords de nos routes.

Mon colonel, le pouvoir est éphémère et le procès des évènements du 28 septembre qui se tient en ce moment même en fait foi. Celui qui se sent le plus fort aujourd’hui peut se retrouver faible demain. Favorisez le retour rapide à l’ordre constitutionnel en organisant des élections libres et transparentes, à ce moment-là vous partirez par la grande porte de l’histoire.  On dit que l’arrogance précède la ruine, et l’orgueil précède la chute. J’espère mon cher colonel que vous reviendrez dans l’esprit du discours du 5 septembre et que vous partirez dans l’honneur car comme on le dit souvent, l’histoire est têtue.

Aliou Bah