Bien comprendre le rêve de Camara Laye (Par El Béchir)

Dans son ouvrage Dramouss rédigé en exil, Camara Laye, l’écrivain génial de Kouroussa, raconte un rêve, objet a posteriori d’interprétations fantaisistes et opportunistes, alors même qu’il est clair comme l’eau de roche.
Si ce rêve a un sens – si, et seulement si, il a un sens, dis-je –, alors il s’est réalisé il y a belle lurette.
L’édition originale de Dramouss date de 1966, à peine huit ans après l’indépendance guinéenne. Le rêve doit donc être compris et interprété dans son contexte narratif et en rapport avec le régime politique subséquent.
Le rêveur Camara Laye voit un peuple MAL VÊTU, AFFAMÉ, BRIMÉ, retenu PRISONNIER sur son territoire et ISOLÉ du reste du monde par une muraille haute et infranchissable. Les autorités y foulent aux pieds le droit, elles ÉLIMINENT des citoyens SANS JUGEMENT. Il précise que CE PEUPLE EST le sien, donc LE PEUPLE GUINÉEN à l’époque où le rêve lui vient sur sa couche.
Ainsi, le songe décrit clairement le premier régime, c’est-à-dire le RÉGIME RÉVOLUTIONNAIRE, celui qui existait en 1966, avec sa terreur et le mal-être général engendrés par ses responsables.
Ensuite, le rêveur Camara Laye voit un LION NOIR qui vient mettre fin à ce système de choses. Ce lion à l’apparence TRÈS noire crée la PROSPÉRITÉ et remet la Guinée dans le concert des nations, il SORT LE PAYS DE SON ISOLEMENT. La Guinée s’ouvre sur le monde, le monde entier se lie d’amitié avec la Guinée.
Tout est clair. Le contexte politique et sa suite, sa fin, cadrent parfaitement avec le rêve.
Il n’y a pas de doute, Camara Laye a vu clairement Lansana Conté, 18 ans avant son avènement le 3 avril 1984, comme l’homme (le Lion Noir, au propre et au figuré) qui a mis fin au régime politique décrit sans ambages dans le rêve et qui a apporté les libertés fondamentales et la richesse aux Guinéens. C’est un fait irréfragable, un accomplissement historique indéniable.
Conclusion : le Lion Noir est déjà venu, il a vécu et il a disparu. Ce serait manifestement déformer le rêve de Camara Laye dans Dramouss que de voir en ce Lion Noir toute autre personne postérieure au premier président guinéen.
Le texte est court et clair là-dessus.
Ça ne sert à rien de compliquer la vie aux Guinéens en faisant croire à un de nos contemporains qu’il est ce Lion très noir et qu’il a une quelconque mission mystique à accomplir pour la Guinée. Cette mission est déjà accomplie, elle est du passé, elle est dépassée.
Il est extrêmement important que cela soit su par tout un chacun. Que Lansana Conté plaise ou non, il a exécuté la vocation destinale décrite dans Dramouss à travers un rêve sans même le savoir, lui qui aimait plus agir que lire.
Une autre preuve, s’il en est besoin, qu’il est bien ce Lion très noir, c’est que la Guinée actuelle est retombée dans le bannissement international dont il l’avait tirée.

NB : J’ai cru devoir faire cette publication après avoir écouté, pendant une cérémonie officielle, un griot faire du rêve de Camara Laye une interprétation hagiographique aussi inutile que dangereuse. Une lecture objective du rêve nous éclaire mieux. Un écolier ne me contredirait pas. Le texte est joint à la publication. Eh bien, que tout le monde le lise en mettant sa subjectivité et sa sensibilité de côté.
Les illuminations mystiques ont fait trop de mal à l’Afrique en faisant croire à ses dirigeants qu’ils ont une élection spéciale au Ciel depuis la fondation du monde et qu’ils sont depuis toujours déjà nés coiffés.
Nondi khili Mouhammadou. Wassalam.

El Béchir.