Le Sénégal est toujours sous haute tension après la condamnation à deux ans ferme d’Ousmane Sonko pour « corruption de la jeunesse ». Depuis jeudi, les rues de Dakar et Ziguinchor sont notamment le théâtre d’affrontements entre manifestants et forces de l’ordre. Ces affrontements violents ont déjà causé la mort de 15 personnes, depuis jeudi 29 mai, a indiqué le gouvernement, tandis que les militaires ont été déployés dans plusieurs secteurs de la capitale.
« Six nouvelles personnes ont été tuées, vendredi 2 juin, dont quatre dans la région de Dakar et deux dans la région de Ziguinchor », a indiqué à l’AFP, Maham Ka, porte-parole du ministre de l’Intérieur, après une nouvelle journée de violents affrontements entre forces de sécurité et manifestants qui protestent toujours contre la condamnation de l’opposant Ousmane Sonko à deux ans de prison ferme.
Face aux manifestations qui ont suivi la condamnation d’Ousmane Sonko, des véhicules de l’armée et des militaires ont été positionnés vendredi 2 juin dans plusieurs secteurs de Dakar. Mais uniquement pour sécuriser des sites jugés stratégiques, selon Maham Ka, le porte-parole du ministère de l’Intérieur à la RTS, la radio-télévision nationale. « Toutes les précautions d’organisations de défense et de sécurité ont été prises, et c’est bien organisé, a-t-il estimé. Ce sont des forces de catégorie 1, 2 et 3. La police, la gendarmerie et l’armée, et chacun en cas de troubles, a son rôle à jouer. On a des policiers qui sont positionnés dans certains secteurs qui jouent un rôle, les gendarmes qui en jouent un autre et les militaires qui sont positionnés juste pour le moment dans des endroits dits stratégiques. »
Le porte-parole du ministère de l’Intérieur concède « qu’il y a des troubles, c’est vrai » et insiste sur un point : les militaires n’assurent pas le maintien de l’ordre. Tout cela, « c’est le travail de la police et de la gendarmerie ». « Il y a des manifestations, mais c’est en train d’être géré correctement par les forces de police et de gendarmerie. Maintenant, à chaque fois qu’il y a des soucis, il y a des installations stratégiques qui sont vitales – on peut penser à des installations de télécommunications ou des choses comme ça, d’énergie, etc. -, où on doit placer des forces militaires qui sont pour le moment seulement positionnées. Et ils ne font aucun travail de maintien de l’ordre. C’est juste un positionnement normal en cas de troubles », a indiqué Maham Ka.
« Le recours à la force a dépassé toutes les limites »
Le ministre de l’Intérieur, Antoine Félix Diome, a annoncé la restriction de l’accès aux réseaux sociaux et à certains services de messagerie « par lesquels se font des appels à la violence et à la haine », a-t-il déclaré. Une décision que condamne Amnesty International.
L’ONG est par ailleurs très préoccupée par un usage disproportionné de la force par les forces de l’ordre. « Les armes à feu ne doivent être utilisées que pour protéger sa propre vie et la vie d’autrui. Nous n’avons pas vu ce genre de situation dans les différents éléments qui ont circulé dans les réseaux sociaux et dans les télévisions. Certes, les protestations étaient violentes, mais le recours à la force a dépassé toutes les limites », estime le directeur exécutif de la branche sénégalaise d’Amnesty, Seydi Gassama, joint par RFI.
« Vous avez toujours le ministre de l’Intérieur qui fait des communiqués pour mettre en cause les manifestants. Mais jusqu’ici, toutes les autopsies qui ont été pratiquées, et nous attendons les autopsies des personnes décédées hier (ce jeudi 1er juin.-NDLR), ont démenti les déclarations du ministre de l’Intérieur, confirmant que ces personnes ont été tuées par balles réelles. C’est une situation évidemment très préoccupante qui pourrait perdurer si les autorités ne font pas preuve de retenue », poursuit-il.
Seydi Gassama constate « la détermination des partisans d’Ousmane Sonko et même des Sénégalais ».« Ceux qui manifestent vont au-delà du parti Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité) », dit-il. « Ce sont des jeunes Sénégalais qui considèrent que le verdict qui a été rendu est un verdict qui entre dans les plans de Macky Sall, d’éliminer un candidat important à l’élection présidentielle comme il l’a fait dans le passé avec Karim Wade ou Khalifa Sall, toujours en utilisant la justice sénégalaise. »
Calme relatif dans la matinée de samedi à Dakar
Un retour au calme dans les rues de la capitale était perceptible samedi matin, mais un peu partout, les traces des affrontements de la veille étaient visibles. À Parcelles Assainies ou à Ngor, on voit du verre brisé, des pneus brûlés, des grosses pierres… beaucoup de magasins sont restés fermés ce samedi.
Dans l’après-midi, des petits groupes de jeunes ont commencé à sortir dans certains quartiers de la ville, comme les Parcelles Assainies, Grand-Yoff et Patte d’Oie. Ici et là, il y a quelques poubelles qui brûlent et notre correspondante à Dakar, Juliette Dubois, a entendu des tirs de gaz lacrymogène à Ngor.
Les forces de l’ordre ont bloqué plusieurs routes stratégiques, par exemple au niveau des travaux du BRT (Bus Rapid Transit), la future grande ligne de bus urbaine.
Au Plateau –le centre-ville où se trouve le palais présidentiel, les barrages qui avaient été mis en place ce matin ont été levés, rapporte notre correspondante à Dakar, Charlotte Idrac. La situation était calme aussi ce samedi soir à Cité Keur Gorgui, où se trouve le domicile d’Ousmane Sonko.
Vendredi, les tirs de gaz lacrymogènes ont continué tard dans la soirée dans différents points, comme à Ngor. L’Université cheikh Anta Diop a été totalement évacuée, après la fermeture du campus. Les affrontements avaient repris vendredi dans l’après-midi après la prière. L’armée avait été déployée dans certains points stratégiques comme la place de l’Indépendance dans le centre-ville de Dakar où des manifestations avaient été annoncées. Tanks, soldats en treillis…
Également à signaler l’accès à internet et aux réseaux sociaux toujours restreint dans le pays.
Retour au calme également en Casamance, région d’origine d’Ousmane Sonko. Ce samedi matin, c’est ville morte à Ziguinchor, où les commerces et le marché sont fermés, ainsi que les stations essence.
La situation était très tendue, vendredi, comme à Dakar. Des écoles et universités ont été vandalisées et des heurts ont continué dans plusieurs quartiers de la ville jusqu’à 2h00 du matin, selon un confrère présent sur place.
Les affrontements ont aussi eu lieu dans une autre grande ville de Casamance, la station balnéaire de Cap Skirring. Deux banques ont été incendiées et à l’aéroport de la ville, les vols ont été interrompus.
C’est à Cap Skirring aussi qu’a été enregistré un dixième décès, selon le porte-parole du gouvernement. Mais il s’agit d’un calme relatif au Sénégal puisqu’à nouveau des appels à manifester circulent.
Manifestation à Paris
Ce samedi après-midi, dans la capitale française, plusieurs centaines de Sénégalais ont manifesté, dans le quartier du Trocadéro, en soutien à Ousmane Sonko et en hommage aux victimes des manifestations au Sénégal. « Sonko c’est l’unité du Sénégal », pouvait-on lire sur les banderoles ou encore « Non à la déstabilisation du Sénégal ». Le cortège a défilé sans heurts.
RFI