Dans le fracas des guerres en Ukraine, au Sahel, au Soudan, des derniers événements au Sénégal, la Guinée reste en dessous des radars. Le colonel Mamadi Doumbouya, locataire du palais présidentiel, depuis le coup d’Etat de septembre 2021 agit à sa guise. Ce quarantenaire au passé trouble, fait ce qu’il veut, quand il veut, selon son bon vouloir et ses humeurs influencées par les oracles des féticheurs. Etat de droit, lutte contre la corruption, indépendance de la justice, transition « inclusive et apaisée », toutes les belles promesses édictées lors de son arrivée au pouvoir se sont dissipées comme une volée de moineaux. Les Guinéens vivent enfermés dans un théâtre de l’absurde, voire du grotesque, ce pourrait être comique si la situation n’était pas tragique. En dix-neuf mois, au moins 26 personnes sont mortes lors des manifestations de l’opposition dans une quasi inertie générale. Une inaction apparente, car ce pays, si stratégique de par ses réserves minières, ne laisse pas autant de monde indifférent qu’il n’y paraît.
« Féroce Guinée »*
Avec la Guinée Conakry, ses coups d’Etat, son histoire mouvementée de Sékou Touré à Lansana Conté, en passant par l’inénarrable Dadis Camara et Alpha Condé, on n’est jamais très loin des SAS de Gérard De Villiers. La séquence qui s’est ouverte le 5 septembre 2021 avec l’arrivée au pouvoir de Mamadi Doumbouya s’inscrit dans le même registre. Contrairement à l’histoire officielle, l’opération commando n’a pas été une affaire propre et vite réglée. Le putsch fût sanglant. Les combats entre les assaillants et les gardes du palais présidentiel d’Alpha Condé auraient fait, selon un militaire guinéen, 12 morts chez les premiers, 57 chez les seconds. Mais d’autres sources rapportent un bilan plus important, au moins 100 militaires y auraient laissé la vie.
Toujours selon ces mêmes contacts, Mamadi Doumbouya n’a pas participé au coup d’Etat, il a attendu que les combats soient terminés dans une voiture blindée garée non loin d’une ambassade. Les questions qui se posaient dès le premier jour concernant l’aide que les putschistes auraient reçu de pays étrangers demeurent. (Lire l’article de l’IVERIS du 13 septembre 2021, « Coup d’Etat en Guinée, nouvel épisode de la guerre froide 2.0 »
Car le plus trouble, le plus incompréhensible de cette histoire reste l’arrivée de ce personnage à la tête de l’Etat guinéen. Rien ne prédestinait ce réparateur de pneus de Kankan à diriger le pays du gisement de Simandou, première réserve de minerais de fer au monde. Exilé à 20 ans au Pays-Bas et vivant d’expédients, il entre dans la légion étrangère à 24 ans. Lorsque son contrat de cinq ans arrive à terme, la légion refuse de le lui renouveler. A son départ, elle ne lui accorde pas non plus la nationalité française. Il l’obtiendra grâce son mariage avec une « gendarmette« . En Guinée, l’homme n’a pas été plus loin que l’école primaire, mais en France il aurait décroché un master de défense à l’université Panthéon-Assas ! Par quel miracle cet ancien caporal de la légion étrangère a-t-il été nommé à la tête des forces spéciales par Alpha Condé en 2018 ?
En 2019, il participe à l’exercice Flintlock organisé par l’Africom, ce qui a donné, en avril dernier, un débat fort intéressant à Washington. Dans l’enceinte du Congrès, sénateurs et journalistes se sont demandé comment, pourquoi, depuis 2008, des officiers formés aux Etats-Unis avaient réussi 8 coups d’Etat sur les 9 perpétrés en Afrique de l’Ouest depuis cette date. Réponse du général Langley : « De manière holistique, nous enseignons toutes les valeurs fondamentales dans le respect de la gouvernance civile… » l’auditoire n’a pas semblé convaincu par les arguments.
Ce qu’il faut surtout retenir du parcours de Mamadi Doumbouya, c’est qu’il n’est pas aimé par les militaires. Il est considéré comme un parachuté, donc illégitime. Entre les Pays-Bas et la France, il est resté 20 ans à l’extérieur, il n’a pas fait ses classes au pays, n’a aucun promotionnaire dans la grande muette ou dans les services de renseignements. A Conakry, ce n’est pas un détail. Cela explique la défiance, la méfiance, l’ambiance délétère qui prévaut au sein de la grande muette et les raisons pour lesquelles, le Président exclut, promeut selon son bon vouloir des proches de son ethnie sans respect de la hiérarchie, au risque de déstabiliser un peu plus l’institution.
Le chef d’Etat-major, Sadiba Koulibaly vient d’en faire les frais selon des arguments plus irrationnels. Le 24 avril dernier un féticheur a annoncé publiquement qu’un coup d’Etat aurait lieu au cours d’une période allant de 18 à 28 jours. Panique totale et générale au sommet de l’Etat, selon une source proche du palais. Qui complote ? Faute d’avoir trouvé les prétendus conspirateurs, le général Koulibaly fidèle de la première heure, a été limogé le 9 mai. Sacrifié deux jours avant le début du décompte fatidique…
Toutes ces raisons expliquent l’impressionnant dispositif sécuritaire qui accompagne Mamadi Doumbouya à chacun de ses déplacements. Il a d’autant plus de raisons d’être inquiet, sur ses gardes, qu’il n’a fait preuve ni de reconnaissance ni de solidarité avec ses camarades de putsch. Tous n’ont pas été récompensés, le principal artisan du coup, l’officier des Forces spéciales, Aly Camara croupit même en prison depuis juin 2022. D’autres comparses auraient été éliminés. Conakry bruisse de rumeurs sur la brutalité du régime, des exécutions plus que sommaires perpétrées en plein jour et devant témoins aux tortures d’un autre âge.
A en juger par le rapport du Département d’Etat publié en mars 2023, sur la pratique des droits de l’homme en Guinée en 2022, ces bruits de couloirs sont fondés. Les Etats-Unis ont ainsi dressé une longue liste « … assassinats illégaux ou arbitraires ; torture ou traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants de la part du gouvernement ; conditions de détention difficiles et dangereuses pour la vie ; arrestations ou détentions arbitraires ; prisonniers ou détenus politiques ; problèmes graves concernant l’indépendance du système judiciaire ; ingérence arbitraire ou illégale dans la vie privée » et cætera, et cætera. Et après ? Rien. Réactions de l’Union européenne, de la France ? Rien. Pourquoi ? Elles portent pourtant haut les couleurs des Droits de l’Homme et de la Démocratie. Les Russes, les Chinois, les Turcs, très présents dans le pays se taisent aussi, mais eux n’ont pas l’habitude de s’ériger en porte-drapeau de ces questions-là.
La prison ou l’exil
La CEDEAO est tout aussi indolente, voire compréhensive. Mamadi Doumbouya et l’organe de transition, le CNRD, (Comité National du Rassemblement pour le Développement), ont demandé 24 mois de sursis avant d’organiser des élections afin de remettre le pouvoir aux civils. Le scrutin aurait donc dû se tenir en septembre 2023. Mais la junte au pouvoir a insisté pour que le délai coure à partir du 1er janvier 2023. L’organisation sous-régionale, n’a pas cédé, elle a négocié ferme et décidé que les jours seraient comptés à partir du 4 décembre… 2022 ! La junte a obtenu 38 mois de « mandat cadeau ». Dans le meilleur des cas, il n’y aura donc pas d’élection avant décembre 2024. Les Guinéens sont priés de prendre leur mal en patience…
Les opposants qui avaient applaudi le coup d’Etat pensant se libérer du joug d’Alpha Condé de son troisième mandat et de la domination malinké, en sont pour leur frais. Retour à la case départ, la transition n’est ni inclusive ni apaisée. Celui qui était en résidence surveillée, Celou Dallein Diallo vit désormais en exil, l’ancien Premier ministre Sydia Touré aussi. Et ce ne sont pas les seuls, beaucoup d’autres dorment en prison. Trois responsables du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC) ont été libérés le 10 mai dernier. Etait-ce pour faire passer la pilule amère du bilan de la répression de la manifestation qui avait eu lieu le même jour : 7 morts et 32 blessés ? Partout ailleurs, ce décompte aurait fait réagir. Ici, rien. Au lendemain de ce nouveau drame, l’Ambassade de France à Conakry tweetait : « Le partenariat Guinée-France avance », quant aux Etats-Unis, ils se félicitaient de leur séance de sensibilisation à la lutte contre le paludisme. Ah les joies de dormir sous une moustiquaire, pour peu que l’on soit encore vivant !
A qui perd, gagne
L’autre credo de la junte lors de son arrivée était la refondation de l’Etat et la lutte contre la corruption. Mais en réalité, selon des opérateurs économiques de Conakry, toutes les décisions prises l’ont été afin de reprendre pour le compte de l’équipe au pouvoir les réseaux économiques détenus par l’ancien régime. Une grande partie de l’administration a été remplacée par des gens qui n’y connaissaient rien. Une agence de lutte contre la corruption (CRIEF) a été mise en place désignant 188 personnalités toutes proches de l’ancien président. Mais la liste laisse perplexe, des mêmes noms apparaissent plusieurs fois et les enquêtes semblent avoir été faites à la va-vite. Parallèlement, tous les contrats ont été revus afin de bénéficier des commissions. Les investisseurs fuient, ils ne sont pas rassurés, la situation économique est pire qu’avant, moins d’activités, moins d’impôts, la spirale est enclenchée. Si le port à conteneurs de Conakry vient d’être classé 1er de la sous-région pour ses performances, son activité s’est drastiquement réduite. Et c’est sans compter sur les décisions absurdes comme celle d’interdire aux planteurs de café d’exporter leur production par voie terrestre, tout doit passer par voie maritime, trop long, trop cher, les paysans arrêtent. Et tout est à l’avenant.
Toujours lors de son arrivée au pouvoir, le CNRD avait annoncé qu’il ne revisiterait pas les contrats miniers. Cette promesse n’avait pas calmé l’irritation des Russes et des Chinois lors du coup d’Etat, ils avaient tous deux obtenus sous Alpha Condé la meilleure part du gâteau. Dans un second temps, la junte a annoncé une réforme du secteur minier à la grande joie des Occidentaux qui espéraient une redistribution des cartes. Mais le temps passe et rien ne se passe, Mamadi Doumbouya traîne des pieds, il faut dire que Pékin et Moscou, qui œuvrent dans le pays depuis l’indépendance en 1959, manœuvrent intelligemment en coulisses. Selon un expert minier, le grand projet de la Route de la Soie, 20 milliards de dollars de minerais contre infrastructures, qui n’avait pas vu le début d’un commencement jusqu’à présent a des chances de voir le jour : « Les Chinois mettent le paquet »…
Certains pourraient bien se retrouver « Gros-Jean comme devant », au premier rang desquels la France, dont le soutien très appuyé à la junte par ses représentants à Conakry, ambassadeur et attaché de défense, passe très mal auprès des Guinéens. Ironie du sort, ils sont parmi les seuls en Afrique de l’Ouest à avoir une bonne image de Paris, les voilà fort marris.
Leslie Varenne
www.iveris.eu
* Titre d’un roman de Gérard De Villiers