Outre la disparition de Nelson Mandela, cette semaine marquait le trentième anniversaire de la mort de Félix Houphouët-Boigny. Deux grands leaders africains. Mais autant l’apport de Mandela à l’Afrique et au monde semble reconnu, autant certains s’interrogent sur l’apport d’Houphouët-Boigny à l’Afrique, au-delà de son peuple.
Un dirigeant, quel qu’il soit, se doit d’abord de se distinguer par le bien qu’il fait à son propre peuple. Vouloir comparer Houphouët-Boigny à Mandela serait vain, la notoriété de l’un tenant aussi au courage avec lequel il a subi plus d’un quart de siècle de prison, refusant toute compromission et préférant même y demeurer, plutôt que de recouvrer la liberté, aux dépens d’une partie des revendications de son peuple.
Félix Houphouët-Boigny a conquis sa place dans l’Histoire par son intelligence politique, son habileté, une certaine vision, pour retourner sort et des situations a priori défavorables, au profit du bien-être des Ivoiriens. Que cela ait pu se faire, à l’occasion, aux dépens d’autres nations, est une réalité. Mais, comment reprocher à un dirigeant d’aimer son peuple un peu plus que les autres ? Des interrogations demeurent, quant à sa position et à son rôle dans la guerre du Biafra, au Nigeria, tout comme dans les déboires et la déstabilisation de Sékou Touré, en Guinée. Mais, dans l’ensemble, il a davantage œuvré pour son peuple que contre d’autres.
Et si la Côte d’Ivoire, aujourd’hui, semble faire bonne mine dans la sous-région, c’est parce que, dès l’indépendance, il a osé des choix courageux, des orientations judicieuses, pour prévenir bien des obstacles qui guettent toute jeune nation. Il connaissait les atouts de son peuple, et avait une claire conscience de ses limites, par rapport aux autres.
Le Sénégal, centre intellectuel de l’Afrique occidentale française, avait, sur « sa » Côte d’Ivoire, une avance a priori insurmontable, il le savait. La Guinée, au sous-sol gorgé de minerais, avait, sur son pays, une avance considérable, et de meilleures perspectives. La Haute-Volta (actuel Burkina), avec une population de solide constitution physique, avait les bras pour travailler la terre et la rendre féconde, il en avait conscience.
Le Dahomey (Bénin), le Sénégal et le Togo avaient une élite d’enseignants de qualité, dont ne disposait pas la Côte d’Ivoire, dans les années 50. Félix Houphouët-Boigny connaissait son pays, son peuple, mais aussi l’environnement sous-régional. Son intelligence visionnaire a consisté à s’employer à tirer le meilleur de ce voisinage.
Grâce aux enseignants dahoméens, sénégalais et togolais, la Côte d’Ivoire rattrapera son retard initial pour – très vite – devancer tous ces pays du point de vue de l’éducation. Les travailleurs venus de Haute-Volta joueront un rôle déterminant pour propulser la Côte d’Ivoire au premier rang des producteurs mondiaux, de cacao notamment.
Que pensent donc les Guinéens et les Nigérians de Félix Houphouët-Boigny ?
Oui, pendant que Sékou Touré s’embourbait dans d’interminables palabres radiodiffusées avec ses ennemis réels ou supposés, Houphouët-Boigny faisait avancer son pays. Que le « Vieux » ait facilité le transit d’armes à destination des sécessionnistes biafrais est un fait, certes, mais qui relève d’un cynisme alors à la mode, hélas ! Houphouët-Boigny était-il, finalement, plus coupable que les acteurs directs de cette guerre civile ?
Au-delà du cynisme du « Vieux », face aux déboires de la Guinée et du Nigeria, la Côte d’Ivoire a su tirer le meilleur des atouts spécifiques aux peuples voisins, en attirant vers elle quantité de talents individuels. Il fut une période à laquelle plus de 40% de la population ivoirienne venait de l’étranger…
Côte d’Ivoire, terre d’accueil ? Serait-ce donc cela, la clé du bonheur ?
Dans cet esprit d’ouverture, « Le Vieux » avait attiré vers Abidjan les sièges de grandes institutions continentales. Comme la Banque africaine de développement, qui fait que l’on trouve, en Côte d’Ivoire, des ressortissants de tous les pays du continent. Chaque Africain, chaque citoyen du monde avait donc une raison de se croire chez lui, en terre ivoirienne. C’était peut-être là, l’apport de Félix Houphouët-Boigny à l’Afrique.
RFI