Enquête RSF sur l’affaire Stanis Bujakera en RDC : dans le dossier d’enquête, l’ADN de l’arbitraire

Reporters sans frontières (RSF) a eu accès au dossier d’enquête dans la procédure judiciaire intentée contre Stanis Bujakera en République démocratique du Congo (RDC). Il révèle l’arbitraire de la détention du journaliste, dont le procès expose, audience après audience, la vacuité des accusations portées contre lui. La prochaine est prévue le 22 décembre, deux jours après le premier tour de l’élection présidentielle.

Des questions pour connaître les sources du journaliste à l’absence totale de preuves qu’il ait transmis ce document à qui que ce soit, en passant par une expertise bidon qui semblait déjà prête avant même son interpellation, le seul ‘ADN’ qui existe dans ce dossier est celui de l’arbitraire. Nous demandons à la justice de relaxer au plus vite, le journaliste Stanis Bujakera inculpé en quelques jours sans aucune preuve sérieuse et détenu depuis plus de trois mois.

Arnaud Froger, responsable du bureau investigation de RSF

Si l’objectif initial était d’écarter de la couverture médiatique des derniers mois de la campagne présidentielle Stanis Bujakera, journaliste le plus suivi de la République démocratique du Congo (RDC) sur les réseaux sociaux, il est d’ores et déjà atteint. Le correspondant du magazine français d’information panafricain Jeune Afrique et directeur adjoint du média indépendant congolais actualité.cd, assistera au premier tour de l’élection présidentielle du 20 décembre depuis sa cellule de prison, pavillon 8 de Makala, un établissement pénitentiaire à la sinistre réputation, parmi les pires du continent africain. Une détention dont le caractère arbitraire transparaît largement dès le dossier d’enquête à l’origine du procès et dont RSF a obtenu une copie. Extraits.

En fouillant ses téléphones, les enquêteurs trouvent des émojis !

9 septembre 2023, moins de 24h après avoir été arrêté, Stanis Bujakera subit un premier interrogatoire de la police judiciaire. Les reproches sont confus. Il est tour à tour accusé d’avoir partagé un article de Jeune Afrique qui s’appuie sur une note des services de renseignement relative à l’assassinat d’un opposant politique, mais aussi d’avoir fait circuler ce document sur WhatsApp à partir du 3 septembre, soit plusieurs jours après la publication du média. Pourtant, les enquêteurs qui sont en train de fouiller les portables du journaliste ne trouvent aucune preuve de la transmission de ce document à la rédaction. Ce dernier rappelle qu’il n’est pas l’unique source d’information du magazine pour lequel il travaille et fait remarquer qu’il n’est même pas signataire de l’article incriminé contrairement à l’usage lorsqu’il participe activement à la collecte d’informations.

À ce stade, il n’est pas encore accusé d’avoir fabriqué la note, mais d’en être le premier diffuseur. Les enquêteurs disent disposer d’une “analyse technique” dont il ressort que le numéro de portable du journaliste est “l’ADN du document”. Or comme le montrera plus tard une enquête d’un consortium de médias qui s’appuie sur les réponses d’experts et de porte-paroles de Telegram et de WhatsApp, il est impossible d’identifier le numéro qui a diffusé en premier un document à partir de l’analyse de celui-ci. Une analyse technique complètement bidon et curieusement déjà prête alors même que le journaliste n’a été arrêté que la veille…

Rappel à une loi abrogée…

Le lendemain, tout semble aller de travers. Alors que les enquêteurs n’ont rien trouvé dans les portables du journaliste, les charges s’alourdissent. Stanis Bujakera est désormais accusé d’être l’auteur du “faux document.” Paradoxalement, les enquêteurs imputent la provenance de ce dernier à un mystérieux compte Telegram, une application de messagerie dont le journaliste ne dispose même pas sur son portable…

Plus grave encore, une bonne partie des interrogatoires va en réalité porter sur l’identité des sources sécuritaires du journaliste et du média pour lequel il travaille. Il refuse de les communiquer. Ses conversations avec un journaliste de Jeune Afrique sont également épluchées. L’utilisation d’émojis lui est reprochée…

Le troisième jour d’interrogatoire, le 11 septembre, commence par un rappel à la loi de 1996 fixant les modalités d’exercice de la liberté de la presse en RDC. Un texte qui n’est plus en vigueur puisqu’il a été remplacé par une ordonnance-loi du 13 mars 2023. L’audition se termine par une nouvelle accusation, plus fantaisiste encore, celle d’avoir utilisé un cachet de l’État contrefait pour produire la “fausse” note des renseignements. Ce faux sceau n’a jamais été retrouvé. Le vrai n’a pas non plus été produit depuis le début du procès. Quant à la note, selon l’enquêtemenée par RSF, plusieurs sources indiquent qu’elle a bien été produite par des agents des services de renseignements congolais.


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