Après plusieurs rendez-vous manqués, le CNT a enfin présenté ce qu’il convient d’appeler l’avant-proposition constitutionnelle censée devenir la nouvelle loi fondamentale de la Guinée. Cette autre constitution appelée à permettre au pays de respirer et de garantir son épanouissement démocratique.
Cette publication intervient dans un contexte de tensions politiques où les nouvelles autorités militaires ont annoncé ne pas pouvoir respecter le calendrier initialement prévu avec la CEDEAO pour marquer la fin de la transition. Quand on sait que cette publication constitue le premier acte posé parmi les 10 commandements que la junte s’est elle-même donnée comme conditions pour sanctionner la fin de la transition.ale
Avant de jeter un regard critique sur le contenu du projet de constitution, faisons d’abord quelques observations liminaires.
La constitution constitue le texte fondateur d’un État, sur lequel reposent l’ensemble des institutions politiques et la garantie des droits et libertés fondamentaux des citoyens. Elle définit et fixe au travers de ces articles, les règles de fonctionnement de l’État et de la société.
La présentation faite de cet avant-projet est curieuse. Un projet ou une proposition de loi, de constitution doit avoir une structuration qui se rapproche de la version qu’on voudrait présenter, en l’espèce aux citoyens. A ce titre, il doit comporter au-delà de titres, des articles dans des formulations sur lesquels les citoyens seront appelés à se prononcer, ou même que des discussions puissent avoir lieu sur l’écriture d’untel ou d’untel autre article. C’est un projet avant tout qui est censé recevoir des amendements sur le contenu des articles. Cela participe même de la compréhension du document par les citoyens et leur permettra de mieux se l’approprier.
La présentation telle qu’elle nous a été faite me parait être une explication géante d’un texte en l’occurrence constitutionnel dont on ne connait ni le nombre d’articles ni leur écriture. Au mieux, le document présenté est comme un exposé des motifs. De ce point de vue, on attendait plus du CNT et des rédacteurs du document présenté.
S’agissant du contenu du document présenté, peut-on affirmer que cet avant-projet de constitution apporte un équilibre entre les différents pouvoirs ? Ce texte tel qu’il a été présenté, peut-il apporter à la Guinée la stabilité politique et institutionnelle dont elle a besoin ?
Notre analyse portera sur les dispositions nouvelles introduites dans le projet, nouvelle en rapport avec l’histoire constitutionnelle de la Guinée, sur l’équilibre annoncé entre les pouvoirs et du régime politique qui en découle.
Sur les droits et devoirs nouveaux
Au titre des droits et devoirs du citoyen, il faut dire que cet avant-projet s’inscrit plutôt dans l’histoire constitutionnelle guinéenne depuis la première république en intégrant les perspectives d’un État démocratique fondé sur le droit et les libertés en vue d’un épanouissement des citoyens. C’est donc une constante qui est observée. Cependant, on peut aussi remarquer la volonté de consacrer certains droits et de leur donner une valeur constitutionnelle. C’est le cas du droit de pétition des citoyens, du droit d’accès à la couverture santé universelle, du droit d’être candidat à toutes les élections sans l’onction d’un parti politique, de l’école obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans et le droit à un environnement sain, même si rappelons que la constitution de 2020 s’était déjà prononcée en faveur de l’école obligatoire et du droit vivre de vivre dans un environnement sain.
Au titre des institutions nouvelles consacrées
La principale nouveauté présentée dans cet avant-projet est la mise en place dans l’architecture institutionnelle d’un parlement bicaméral. Entendre par cette expression, un parlement avec deux chambres : la chambre basse constituée de l’Assemblée nationale et la chambre haute formant le Sénat.
C’est la première fois qu’une telle configuration voit jour dans notre pays si tant qu’elle soit maintenue dans le projet à soumettre au peuple par référendum. Et c’est une rupture avec le droit constitutionnel depuis l’indépendance.
Force est néanmoins de constater que de nombreuses questions demeurent quant à l’opportunité de création d’une chambre haute constituant le Sénat dans notre pays.
Dans l’imaginaire collectif, le sénat est le plus souvent associé à un modèle de fédération d’Etat dans lequel il représente les intérêts des Etats fédérés face à l’Etat fédéral puisque dans ce type de régime, les compétences législatives sont partagées entre les Etats fédérés et l’Etat fédéral. Dans ce cas de figure, sa pertinence peut se justifier.
Dans le système francophone duquel s’inspire le droit guinéen, l’histoire du sénat est mouvementée et souvent associée à des privilèges royaux. Dans l’ancien régime, le sénat était chargé de défendre les intérêts du roi face à des députés estimant que le pouvoir réside dans une assemblée élue par le peuple et au nom duquel ils votent les lois. Boissy d’Anglas dira d’ailleurs que « les cinq-cents (députés) sont l’imagination de la république et les anciens (sénateurs) en seront la raison ». Dans de nombreux pays où elle existe, cette chambre haute est décriée du fait notamment du mode d’élection des sénateurs qui ne sont pas élus directement par le peuple. Ils sont considérés comme formant une nouvelle classe de noblesse éloignée de la réalité du pays.
Par opposition, l’Assemblée nationale étant directement élue au suffrage universel est l’incarnation de la nation dans toute sa diversité. Peut-on alors se poser la question suivante, est-ce vraiment nécessaire la création d’un Sénat dans un petit Etat comme la Guinée ?
Dans un Etat unitaire comme l’est notre pays avec ses 8 régions administratives et une nation en construction, la création d’un parlement bicaméral est aussi inutile que contreproductive.
Inutile d’abord. En ce sens que la Guinée n’a pas besoin de Sénat pour apporter un équilibre substantiel entre le pouvoir exécutif et législatif. L’un des arguments avancés par le CNT actuel est de dire qu’il faille limiter les pouvoirs du Président de la république. Soit, mais en quoi la création d’un Sénat apporte-t-elle un équilibre des pouvoirs ? Ne peut-on pas renforcer les pouvoirs de contrôle de l’Assemblée nationale dans son rapport avec l’exécutif ?
Si le sénat se justifie dans un Etat fédéral à l’image du Nigeria près de chez nous ou au Etats-Unis puisqu’il défend la spécificité de chaque état fédéré, là où l’Assemblée nationale défend les intérêts de l’ensemble des citoyens qu’elle représente et au nom desquels les lois sont votées.
La Guinée a besoin d’un parlement (Assemblée nationale) fort avec de véritables pouvoirs de contrôles pour limiter l’hégémonie de l’exécutif qui a jalonné notre histoire et pratique constitutionnelles.
Aujourd’hui, plusieurs Etats dans lesquels existent des Sénats souhaitent le supprimer pour plusieurs raisons entre autres : trop élitiste, éloigné des préoccupations des citoyens où siègent quelques privilégiés, trop lourd pour les finances de l’Etat, etc. C’est le cas actuellement du nouveau gouvernement travailliste britannique qui veut supprimer la chambre des lords (chambre haute britannique) dont les membres exercent à vie et mettre fin à ses privilèges.
En France, le président Macron avait pour volonté de supprimer le Sénat même si les circonstances de ses mandats ont fait que la priorité était ailleurs. Il n’en demeure pas moins que c’est le projet des formations politiques classées à gauche de l’échiquier qui ont affiché leur volonté de doter la France d’une nouvelle république avec la suppression du sénat et un renforcement de la démocratie directe citoyenne. Créer alors un sénat en Guinée me parait être à contre-courant de notre époque où la demande d’une participation directe des citoyens à la vie de la nation est de plus en plus forte.1
En second lieu, la création d’un sénat en Guinée est contreproductive quand on sait le retard pris par notre pays dans son développement. Créer un sénat, c’est créer de nouvelle charges supplémentaires pour le budget de fonctionnement de l’Etat déjà énorme au détriment des dépenses d’investissement nécessaires dont notre pays a besoin. Ce serait de préparer plus de gabegie, de créer un gouffre financier que d’avoir à la fois une Assemblée et un Sénat dont il faudra prévoir les dépenses de fonctionnement et le traitement de ses membres.
La Guinée avec son niveau de développement ne peut se permettre une telle distraction.
En lieu et place de la création d’un sénat, il conviendra de renforcer l’Assemblée nationale avec les missions dévolues au Sénat dans l’avant-projet de constitution notamment les compétences de contrôle des nominations par les auditions. Il peut être prévu une chambre spéciale au niveau de l’Assemblée chargée d’auditionner les fonctionnaires appelés à exercer de hautes responsabilités sans forcément passer par la mise en place d’un sénat.
Il peut également être prévu que la consultation pour avis soit obligatoire pour valider une nomination. Et pour éviter le plus souvent des vacances de postes ou même des fuites de noms de personnes à nommer pendant les auditions, que cette démarche intervienne à posteriori c’est-à-dire après la nomination. Et pour qu’elle soit définitive, il faut l’audition de la personne nommée par la commission spéciale des nominations.
Il est également prévu dans cet avant-projet de constitution la réunion du parlement pour le prononcé du discours du Président de la république sur l’état de la nation. C’est une bonne chose que d’instituer une fois par an de telle pratique. A la place du Sénat, l’Assemblée nationale peut se réunir avec le conseil des collectivités territoriales pour le prononcé du discours sur l’état de la nation du chef de l’Etat.
Sur la nature du régime politique instauré par l’avant-projet de constitution
Un régime politique désigne le mode d’organisation des pouvoirs publics : désignation des membres, leur compétence, les rapports entre les pouvoirs. La nature d’un régime politique dépend essentiellement de sa constitution et des pratiques du pouvoir.
Il faut affirmer d’emblée que ce projet n’a pas apporter de changement significatif quant à la nature du régime politique. On est toujours dans un régime présidentiel voire présidentialiste avec certes le principe de séparation des pouvoirs consacré mais où la pratique peut révéler une prééminence de l’exécutif sur les autres pouvoirs.
L’actuel Président du CNT Dr Dansa KOUROUMA avait à plusieurs occasions exprimé la volonté de donner à la Guinée un régime parlementaire. Dans ce type de régime, c’est le parlement élu par le peuple au suffrage universel qui désigne le gouvernement et devant lequel le Premier ministre et les ministres sont responsables.
L’innovation aurait été de donner à la Guinée pour la première fois un régime parlementaire avec certes l’existence d’un Président de la république mais dont les fonctions seront principalement d’être garant de la constitution, le gardien en l’occurrence, d’être facilitateur en cas de crise aigu entre le parlement et le gouvernement, et le tout sous la gouvernance d’une cour constitutionnelle renforcée prêt à trancher les litiges.
Puisqu’on est qu’au stade de projet, il me semble pertinent de faire ces quelques propositions constitutionnelles :
– Instauration d’un régime parlementaire dans lequel le gouvernement est issu du groupe ou de la coalition majoritaire au parlement
Il reviendra ainsi au Premier ministre de déterminer et de conduire la politique de la nation, de diriger le pays, de représenter le pays lors des négociations internationales sous le contrôle du parlement dont il est issu.
– La responsabilité de ce gouvernement devant le parlement et non devant le Président de la république comme c’est le cas dans le projet actuel.
– La mise en place d’un mandat unique présidentiel de quatre ans non renouvelable dont le pouvoir sera d’être le garant de l’unité nationale.
Ce président de la république doit refléter la volonté du peuple de Guinée d’en finir avec l’ethnocentrisme, le régionalisme qui sont aujourd’hui les plaies qui gangrènent notre pays.C’est pourquoi, je préconise un mandat unique de quatre ans non renouvelable et une présidence tournante entre les 4 régions naturelles de la Guinée. Ce Président aura des pouvoirs essentiellement honorifiques. C’est le cas dans une très grande majorité de pays actuels et même le Togo plus proche de nous en Afrique de l’Ouest vient d’ouvrir la voie à telle démarche.
Ce sera une volonté de dépasser l’ethnie et de faire nation. Ce président devra être le garant de l’unité nationale, de la stabilité politique et sociale et doit être le chef d’orchestre des commémorations qui permettent au pays de faire nation ensemble.
Dans une telle configuration, le mandat du Premier ministre peut être limité à deux mandats consécutifs ou non pour permettre un renouvellement génération des dirigeants politiques.
Observation sur la limite d’âge et le mode de révision de la constitution présenté dans l’avant-projet.
L’avant-projet présente un certain nombre de conditions pour candidater à la présidence de la république parmi lesquelles celle liée à l’âge, compris entre 35 ans au moins et 80 ans au plus.
Du moment où la majorité civile est fixée à 18 ans, il ne parait pas nécessaire de fixer un âge plancher et un âge plafond pour prétendre à des responsabilités dont la présidence de la république. La seule limite a fixé est la garantie d’une bonne santé mentale et physique qui doit être déterminée et vérifiée par un collège de médecins assermentés et indépendants. Comme le dirait l’adage, l’âge n’est qu’un chiffre et il n’y a pas d’âge pour être sage. Dans une démocratie, il revient aux citoyens par le biais du suffrage universel de confier leur destinée à untel ou untel sans exclusion autre que celle motivée par des critères objectifs.
S’agissant de la révision constitutionnelle, l’avant-projet proscrit également la révision des dispositions de la constitution avant une période de sûreté de 30 ans. Dans une démocratie, la souveraineté appartient au peuple qu’il exerce par le vote. Toute loi doit s’adapter aux réalités de la société qu’elle régit.
Même si nous pouvons entendre l’objectif derrière la fixation d’une telle période de sûreté pour réviser la loi fondamentale qui est celui d’éviter la tentation des dirigeants de détourner les lois en leur faveur. Il ne parait pas sain d’affirmer qu’un peuple ne peut modifier sa constitution avant 30 longues années. Cela est une aberration juridique et un mépris vis-à-vis du peuple souverain. Les réalités de la Guinée actuelles ne seront pas celles de demain ni celles dans 10, 15, 20 ans à venir.
Comme l’avaient prévues les précédentes constitutions guinéennes, il serait utile d’exclure du champ des révisions constitutionnelles certaines règles comme la forme républicaine de l’Etat, le principe de laïcité, la pluralité démocratique, la durée du mandat du Président dans le cas d’espèce ou celui du Premier ministre dans un régime parlementaire, et ce afin d’éviter les tentations et la tyrannie des hommes. On ne peut interdire à un peuple à un moment donné de changer les lois qui le gouvernent.
Pour terminer, il convient de dire que la présentation de l’avant-projet est une première étape franchie qui va permettre d’ouvrir la voie aux discussions, aux amendements du texte pour qu’in fine la Guinée dispose d’un texte fondamental qui lui ressemble et qui correspond à ses réalités profondes.
Le texte présenté a certes l’avantage de promouvoir de nouveaux droits constitutionnels mais il est encore perfectible sur bien des aspects.
Alexandre Naïny BERETE, juriste