Il vaudrait peut-être mieux supprimer le mot transition du vocabulaire africain. C’est un mot indécent que d’ailleurs plus personne n’ose prononcer, un canular, un spectacle de mauvais goût qui entraîne le cauchemar partout où il se produit.
A Bamako, à Conakry, à Ouagadougou comme à Niamey, on ne veut plus entendre parler de droits de l’homme, de démocratie ou de calendrier électoral. C’est la normalisation, le retour en fanfare du pouvoir kaki comme aux belles heures de Mobutu et de Bokassa.
Nos hommes en képi ont donné au cours des choses un gros coup de massue. C’est le black-out. Sonnées, les forces politiques et les organisations des droits de l’homme vacillent entre la fureur et la résignation alors que la communauté internationale fait semblant de regarder ailleurs. C’est le nouvel âge d’or des généraux de salon et des maréchaux de pacotille.
Nos nouveaux despotes peuvent sans retenue manier les ciseaux et brandir la trique. Ils rivalisent dans la répression et dans la censure comme les boxeurs rivalisent sur le ring. En Guinée, on ne sait toujours pas ce que sont devenus Foninké Mengué et Billo Bah.
Au désarroi des familles, aux inquiétudes des citoyens et des organisations des droits de l’homme, Mamadi Doumbouya n’a qu’une seule réponse : le silence. Un silence d’autant cruel et insupportable que l’ancien secrétaire général des mines, Saadou Nimaga et le journaliste Habib Marouane Camara ont disparu à leur tour. Il règne en ce moment à Conakry une atmosphère de terreur où personne ne sait où il finira la nuit : dans une tombe, dans une cellule de prison ou dans le mystère de la volatilisation ?
Au Mali voisin, où les choses semblaient mieux corsées, c’est la dérive depuis que l’armée s’est dissociée du mouvement M5 (le Rassemblait des Forces Patriotiques qui incarnait l’opposition au régime d’Ibrahima Boubacar Keïta) pour naviguer en solitaire. Le 23 novembre dernier, la licence de la chaîne privée Joliba TV a été retirée par la Haute Autorité de la Communication. Pourquoi d’après vous, cette chaîne très prisée du public malien a été soumise à la diète de l’écran noir ? Pour une raison que l’on dirait rocambolesque si l’on n’était pas en Afrique.
Tenez, le 10 novembre dernier, dans son émission « Rendez-vous des idées », un invité avait remis en cause la tentative de déstabilisation survenue au Burkina-Faso, la qualifiant de « mise en scène ». C’est ce banal incident-là qui a déclenché les foudres de Jupiter sur Joliba TV. Le plus ridicule, c’est que la sanction ne vient même pas du Mali. C’est Ouagadougou qui l’a demandée et obtenue. Comme quoi nos chefs n’ont pas que l’esprit militaire, ils ont aussi l’esprit de clan. Ceci dit, la main dure d’Assimi Goïta ne frappe pas que les médias, elle frappe les hommes politiques aussi. Pour avoir tenu une réunion non autorisée, onze chefs de partis politiques ont été détenus près de 5 mois sans jugement.
Au Niger, alors que l’ancien président Bazoum reste maintenu en détention dans des conditions inhumaines et sans aucune perspective de procès, on apprend l’arrestation de Moussa Tchangari, une figure illustre de la société civile. Nul ne sait vers quelle destination Moussa Tchangari a été conduit, mais tout le monde connaît les raisons de son arrestation : son soutien inconditionnel au président Bazoum et ses critiques acerbes et répétées contre la dictature militaire.
Ne parlons pas du Burkina Faso où, comme le dit si bien la journaliste Agnès Faivre, « depuis le putsch du capitaine Traoré, enlèvements, détentions, tortures et enrôlements forcés dans l’armée, l’appareil répressif est bien huilé. »
Tous ces gradés nourrissent le même dédain pour la démocratie et pour les droits de l’homme, mais l’honnêteté nous oblige à dire qu’ils ne traitent pas leurs opposants de la même manière. Un ami membre des 11 anciens prisonniers maliens m’a confié au téléphone que leurs conditions de détention étaient plutôt confortables (télé, clim, frigo, coin sport, repas venu de la maison, etc.).
En Guinée, ils seraient tous à l’article de la mort comme le sont aujourd’hui Ibrahima Kassory Fofana et Damaro Camara, ancien premier ministre et ancien président de l’assemblée nationale sous le régime d’Alpha Condé.
Tierno Monénembo