Si l’indifférence était une discipline olympique, la Guinée décrocherait l’or à chaque édition. Dernière performance en date : la disparition spectaculaire de Foniké Menguè, Mamadou Billo Bah, Saadou Nimaga et Habib Marouane Camara. Pas besoin de caméra cachée pour comprendre que ce thriller grandeur nature n’a rien de fictif. Entre un régime militaire qui joue à « Où est Charlie ? » version oppressive, et une population qui regarde ailleurs, les enlèvements arbitraires sont devenus le passe-temps préféré de nos dirigeants en treillis.
Enlèvements et kidnapping: nouveau modus operendi
Dans cette Guinée où l’absurde tutoie quotidiennement le tragique, le régime semble avoir trouvé un nouveau loisir : les enlèvements arbitraires. Plus palpitant qu’un match de football, plus mystérieux qu’une enquête d’Hercule Poirot, le phénomène.s’est imposé comme le feuilleton quotidien d’une Guinée où l’absurde rivalise avec le tragique, et où chaque disparition ajoute un épisode à cette série macabre.
Ces disparitions soudaines, telles des tours de magie sinistres, rappellent que l’arbitraire est devenu une véritable institution. Que vous soyez activiste, intellectuel, ou simplement un citoyen dont l’existence dérange, le régime peut décider que vous êtes « en trop ». Pas de procès, pas de preuves, pas d’explications : la dictature n’a pas le luxe de s’embarrasser de principes ou de justificatif.
Et pendant ce temps, la population reste figée, paralysée par une peur viscérale ou une indifférence calculée. Une immobilité coupable qui, à force d’inaction, finit par normaliser l’inacceptable. Car ici, il n’y a pas de ..place pour la justice ni pour la vérité : tout se décide dans l’ombre, où l’arbitraire règne en maître et où les droits, .une illusion lointaine. Les règles du jeu sont simples : on obéit, on se tait, et surtout, on ne pose pas de questions. Car toute tentative de résistance, aussi infime soit-elle, peut vous valoir une disparition en plein jour.
L’impunité et l’indifférence collective galvanisent le pouvoir
Pendant que les familles cherchent désespérément des réponses, le régime, lui, savoure son impunité. C’est que l’indifférence collective est une terre fertile pour le pouvoir absolu. Moins les gens bougent, plus la répression prospère. Et à ce jeu-là, il faut reconnaître que le silence des fautes est une arme bien plus efficace que toutes les kalachnikovs réunies.
Un peuple divisé par la peur et endormi par l’indifférence, voilà le rêve de tout despote. Reste à savoir combien de temps cette torpeur collective durera avant que les injustices ne débordent et que l’indignation ne se transforme en une force capable de briser les chaînes.
La méthode est rodée : un kidnapping ici, un silence là, et voilà un cocktail bien secoué qui anesthésie les consciences. Les victimes, elles, n’ont pour tort que d’avoir existé dans un pays où le simple fait de respirer peut être considéré comme un acte subversif. Et le peuple ? Eh bien, il regarde, pris entre la peur de la répression et la résignation de l’impuissance, préférant souvent détourner le regard plutôt que de faire une prise de conscience collective et prendre son destin en main.
La belle indifférence, complice du régime
Ah, la belle indifférence ! Cette compagnie fidèle des dictatures, ce ciment invisible qui maintient l’arbitraire au pouvoir. Elie Wiesel, dans sa grande sagesse, disait que « le contraire de l’amour, ce n’est pas la haine, mais l’indifférence ». Si seulement, il avait su à quel point ses mots trouveraient écho en Guinée, où l’amour est rare, la haine omniprésente.
Le pouvoir en place, lui, ne s’embarrasse pas de subtilités. Dans un pays où l’impunité est un sport d’État, pourquoi se donner la peine de justifier quoi que ce soit ? On fait disparaître quelques gêneurs, on occupe la presse avec des communiqués creux, et on compte sur le fait que tout le monde oubliera rapidement.
Le silence coupable : la véritable tragédie
Car la vraie tragédie, ce n’est pas seulement l’arrestation arbitraire de ces hommes. Non, le drame, c’est ce silence qui suit, ce vide sidéral qui engloutit les indignations et laisse les familles désespérément seules face à leur douleur. La Guinée, terre d’injustices et de résignation, où l’espoir semble aussi rare qu’une pluie en saison sèche, et où la vérité se cache derrière des murs d’indifférence, bâtis chaque jour par un régime qui entretient le silence comme un pouvoir absolu.
Un sursaut collectif : le dernier espoir ?
Et pourtant, il suffirait d’un sursaut collectif pour que l’histoire change. D’une mobilisation réelle, pas de ces hashtags passagers qui disparaissent plus vite qu’une étoile filante. Mais qui osera ? Qui prendra le risque de briser ce cercle vicieux, de défier l’apatheia collective et de lever enfin la voix contre l’impunité ? Car à ce rythme, la peur finit par dévorer même les derniers bastions de courage tandis que la justice, elle, s’éloigne chaque jour un peu plus, comme un mirage inaccessible
La normalisation de l’inacceptable.
En attendant, le pays continue de s’enfoncer dans un marasme où la normalisation de l’inacceptable devient la règle. Aujourd’hui, c’est Foniké Menguè et consorts. Demain, ce sera peut-être vous, votre voisin.
Indignons-nous avant qu’il ne soit trop tard
Alors, chers concitoyens, indignons-nous. Pas pour la forme, mais pour le fond. Car à force de fermer les yeux, nous risquons de nous réveiller enchaînés. Et là, il sera trop tard pour pleurer. À moins, bien sûr, que l’indifférence ne soit devenue tellement intégrée qu’elle nous empêche .de ressentir la douleur de notre propre asservissement, et que nous en venions à considérer l’injustice comme la norme, étouffant tout élan de révolte sous le poids de notre misère.
Oumar Kateb Yacine
Analyste-Consultant Géopolitique