La condamnation d’Aliou Bah : Une dérive autoritaire inquiétante (Par Oumar Kateb Yacine)

Le verdict est tombé comme un couperet. Aliou Bah, figure politique et opposant reconnu, a été condamné à deux ans de prison ferme pour des faits d’offense et de diffamation contre le chef de l’État. Ce verdict, prononcé par le tribunal de première instance de Kaloum, résonne bien au-delà des murs de la salle d’audience. Cette sentence incarne un nouvel épisode sombre dans l’histoire démocratique de la Guinée, où la répression des voix dissidentes devient la norme sous un régime de plus en plus autocratique.

Depuis son arrivée au pouvoir, le Conseil National du Rassemblement pour le Développement (CNRD), dirigé par le général Mamadi Doumbouya, s’est progressivement mu en gardien d’un système autoritaire. La condamnation d’Aliou Bah s’inscrit dans une logique implacable de musèlement des opposants, de contrôle des discours et d’imposition d’une idéologie officielle, teintée de références aux dictatures d’un autre âge, tout en s’écartant des principes fondamentaux de justice.

Un climat d’oppression inédit

Cet épisode illustre la montée en puissance d’un climat d’oppression sans précédent en Guinée. Les arrestations arbitraires, les disparitions forcées et le musèlement de la presse dessinent les contours d’un régime où la contestation est perçue comme une menace à éradiquer. Là où, jadis, une certaine tolérance permettait aux opposants de s’exprimer et de débattre publiquement, sans crainte immédiate de représailles, la situation a radicalement changé. Aujourd’hui, l’espace de liberté d’expression se resserre, et les voix critiques sont systématiquement étouffées, marquées par l’arbitraire et la répression. Ce changement brutal symbolise la transformation inquiétante d’un système démocratique en un régime autoritaire.

Les figures politiques et les militants, autrefois libres de critiquer la gouvernance, se retrouvent obligés au silence ou contraints à l’exil. Ce verrouillage de l’espace public, combiné à une instrumentalisation de la justice, marque un tournant inquiétant, éloignant davantage la Guinée des normes démocratiques auxquelles aspirent ses citoyens.

Arrestations arbitraires, disparitions forcées, censure de la presse : le tableau actuel est celui d’un État en guerre contre ses propres citoyens. Les figures politiques, intellectuelles et médiatiques, hier encore libres de s’exprimer, vivent désormais sous la menace constante d’un régime qui ne tolère aucun autre son de cloche. Entre pressions, intimidations et risques d’arrestations, ces acteurs essentiels de la vie démocratique sont réduits au silence ou contraints à l’autocensure. Cette atmosphère de répression installe un climat de peur généralisée, paralysant le débat public et érodant les principes essentiels de la démocratie. L’espace d’expression, jadis vital pour l’émergence de débats constructifs, se rétrécit inexorablement sous le poids de l’intimidation et de la censure. Dans ce contexte, les voix dissonantes sont non seulement muselées, mais les citoyens eux-mêmes sont réduits au silence, hésitant à exprimer leurs opinions par crainte de représailles.

Dans ce contexte, la condamnation du leader du parti MoDeL ne saurait être perçue comme une simple décision judiciaire. Elle symbolise une dérive autoritaire où la justice devient un outil de répression, instrumentalisée pour servir les intérêts d’un pouvoir qui ne tolère aucune contestation. Ce verdict envoie un message glaçant : dans la Guinée actuelle, critiquer le pouvoir ou exprimer une opinion divergente peut conduire à la prison. Ce signal, adressé à l’ensemble de la société, vise à instaurer un climat de terreur et de soumission, dissuadant toute tentative de contestation.

En criminalisant l’opposition, le régime affirme sa volonté de monopoliser le discours public, d’imposer une pensée unique et de faire taire toute divergence. Ce processus ne se limite pas à l’intimidation des opposants politiques, mais vise également à réécrire la réalité en contrôlant les narratifs qui façonnent l’opinion publique. En supprimant les voix dissidentes, le pouvoir cherche à instaurer un conformisme qui empêche toute remise en question et à étouffer les débats essentiels à l’évolution de la société. Cette uniformité imposée est le fondement d’un régime qui préfère la stabilité apparente à la pluralité des idées, redoutant la diversité des opinions comme une menace à sa légitimité. Ce climat d’intolérance ne fait que renforcer l’isolement du pouvoir et compromettre les perspectives de progrès réel pour le pays.

L’ironie d’un contraste saisissant

La scène internationale ajoute une dimension particulièrement cruelle à cette affaire. Alors que Mamadi Doumbouya assiste, avec les honneurs dus à son rang, à l’investiture du président ghanéen John Dramani Mahama, symbole d’une démocratie vivante et dynamique, la Guinée s’enfonce dans un autoritarisme oppressant. Le Ghana, fort de son héritage démocratique initié par le Capitaine Jerry Rawlings, offre un exemple éclatant de transition réussie. Ce contraste flagrant met en lumière l’hypocrisie d’un régime guinéen qui s’affiche sur la scène internationale.

Un appel à la résistance démocratique

La condamnation d’Aliou Bah n’est pas seulement une injustice ; elle est un test pour la société guinéenne. Accepter ce verdict sans réagir reviendrait à précipiter une trajectoire qui pourrait bien sceller le sort des libertés publiques dans le pays. La démocratie ne se construit pas sur la peur et la répression. Elle exige le respect des droits fondamentaux, la protection des opinions divergentes et l’ouverture d’un espace où le dialogue démocratique peut s’épanouir librement. Une véritable démocratie ne peut se construire que sur la base de la tolérance, de la pluralité des idées et de la garantie pour chaque citoyen de s’exprimer librement dans les limites de la loi.

Il est impératif que la société civile, les intellectuels et les citoyens guinéens se mobilisent pour exiger non seulement la libération du jeune opposant, mais également la fin des pratiques répressives qui gangrènent la vie publique. Car, au-delà de son cas individuel, c’est la voix d’un peuple tout entier qui est menacée d’étouffement. La condamnation de cet opposant politique symbolise une attaque frontale contre les droits fondamentaux et la liberté d’expression, essentiels à toute société démocratique. Elle vise en particulier à réduire au silence les figures critiques d’un pouvoir totalitaire et corrompu.

La Guinée mérite mieux. Elle mérite un avenir où la démocratie ne sera pas un mot creux, mais une réalité tangible, portée par le courage et la détermination de ceux qui refusent de se soumettre à la peur. Un avenir où la justice et les libertés fondamentales seront respectées, et où chaque citoyen, quelle que soit son opinion, pourra participer à l’acte démocratique sans crainte de répression. Un avenir où la diversité des idées sera perçue comme une richesse et non comme une menace, et où la gouvernance sera fondée sur le respect des droits humains et l’inclusion de tous dans le processus décisionnel.

Oumar Kateb Yacine

Analyste-Consultant Géopolitique

Courriel : bahoumaryacine777@gmail.com