Donald Trump, pour sanctionner une loi sur l’expropriation de certains propriétaires afrikaners, suspend l’aide des États-Unis à l’Afrique du Sud. À la surprise générale, toute la classe politique du pays, y compris l’Alliance démocratique, opposée à ladite loi, se mobilise derrière Cyril Ramaphosa, en dénonçant une désinformation propre à entacher l’image de leur pays. Comment expliquer le contraste avec la RDC, où les principales formations de l’opposition accablaient, cette semaine, Félix Tshisekedi pour sa gestion de la guerre dans l’est du pays ?
Au nom du danger qui guette leur patrie, les opposants congolais auraient pu, en effet, épauler leur président. La conscience qu’ils ont de leurs responsabilités vis-à-vis de la nation est peut-être ce qui distingue la classe politique d’Afrique du Sud des politiciens de nombreux autres pays, où beaucoup ramènent tout à leurs rancœurs personnelles, à leurs intérêts immédiats. En RDC, certains ne conçoivent l’opposition entre adversaires politiques qu’en animosité incurable. En Afrique du Sud, pour préserver l’essentiel, ils savent taire, à l’occasion, leurs dissensions. Même du temps de l’Apartheid, tous les Blancs n’étaient pas des partisans bornés du racisme d’État. D’ailleurs, les extrémistes Afrikaners ont décliné l’offre d’asile de l’Américain, un président rétif aux étrangers envahissant son pays, et d’une si soudaine hospitalité ! Sa logique est indéchiffrable. Ou trop explicite…
Qu’y a-t-il de trop explicite, dans cette offre ?
À quoi, à qui la fait-il ? À leur condition de persécutés ? Ou à leur couleur de peau ? En Afrique du Sud, la dimension raciale de la question de la terre est telle que l’on a dû constitutionnaliser la nécessité d’un rééquilibrage décent. 72% des terres agricoles appartiennent à 8% de Sud-Africains blancs. Certains en possèdent tellement qu’ils en laissent en jachère, ou en garanties bancaires. Trente ans après la fin de l’Apartheid, le statu quo était intenable. Les expropriations qui transforment Donald Trump en défenseur des droits de l’homme ne visaient qu’à leur reprendre les terres non exploitées. Sauf que le président des États-Unis, tel le promoteur immobilier qu’il ne peut s’empêcher d’être, salive devant chaque hectare, alors que l’on attend du leader du monde libre, d’oublier celui où prévalaient les méthodes d’antan des milieux d’affaires new-yorkais, avec les Bernard Madoff et autres personnages convaincus que l’essentiel est de prospérer, à la manière d’un Charles Ponzi, escroquant de nouveaux clients pour rémunérer les précédents. La question de la terre en Afrique du Sud est bien trop sensible pour accepter que Trump s’en mêle.
Pourquoi donc est-elle si sensible, si délicate, cette question ?
Sans doute parce qu’elle renvoie sans cesse au piège infernal de la responsabilité initiale : qui donc, le premier, a exproprié qui ? Nelson Mandela, magnifié, notamment en Occident, pour son leadership tolérant, a laissé beaucoup d’amertume chez les siens, pour n’avoir pas osé restituer leurs terres aux communautés noires, à la fin de l’apartheid. Même Robert Mugabe a dû s’y prendre par étapes, avant de confisquer leurs terres aux Blancs du Zimbabwe, au début des années 2000. Durant les quatorze semaines passées, en 1979, à négocier l’indépendance du Zimbabwe à Lancaster House, la délégation du Front patriotique, qu’il conduisait avec Joshua Nkomo, a maintes fois menacé de se retirer, si elle ne pouvait, en même temps que l’indépendance, restituer au peuple les terres accaparées du temps colonial. Pour sauver les négociations, le gouvernement Thatcher, au Royaume-Uni, et l’administration Carter, aux États-Unis, leur proposèrent d’accepter l’indépendance, avec la promesse de leur octroyer, dans cinq ans, les fonds pour racheter leurs terres aux propriétaires blancs. À l’échéance, Ronald Reagan, président des États-Unis, prétextera de l’orientation marxiste du régime zimbabwéen pour refuser d’honorer la promesse. Dans l’impossibilité d’honorer la principale promesse de l’indépendance, Mugabe revient régulièrement à la charge. En vain. Aussi, choisit-il, vingt ans après l’indépendance, de recourir aux grands moyens, avec quelques maladresses. Des manifestants expulsent les Blancs et occupent les propriétés. Pointant Mugabe du doigt, Tony Blair invitera alors le monde à contempler ce qu’est un dictateur sans pitié. Sans doute l’était-il. Mais était-ce vraiment là, la question ? Une belle diversion !
Par :
Jean-Baptiste Placca sur RFI