Guinée, la nuit sans aurore : Réquisitoire contre une nation prise en otage  

« Le maître a beau être cruel, ce sont les esclaves qui portent ses chaînes. » Montesquieu avait vu juste : nul tyran ne se maintient sans la complicité tacite de ceux qui, courbés sous le joug, préfèrent la soumission à l’affrontement. Il est des peuples qui avancent, d’autres qui trébuchent, et il en est aussi qui sont maintenus à genoux, la tête enfoncée dans la poussière par la main cruelle de ceux qui, pourtant, devaient les relever.

La Guinée ne vit plus. Elle survit, elle agonise sous le poids d’un pouvoir qui ne gouverne plus mais qui s’accroche, qui s’impose, qui écrase. Ce qui devait être une transition s’est transformé en abîme. Une nuit où la parole n’a plus de valeur, où les promesses sont des parjures, où la loi n’est qu’un fouet au service des despotes. Depuis le serment profané, depuis que l’engagement solennel d’un homme s’est dissous dans la boue des ambitions égoïstes, le pays est entré dans une obscurité oppressante.

« Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. » disait Étienne de La Boétie. Et que voit-on aujourd’hui ? Un chef sans honneur qui veut s’introniser souverain absolu, sans contradicteur, sans opposition, sans voix pour troubler la messe funèbre qu’il célèbre sur la tombe de nos espoirs. Les rues ne résonnent plus de clameurs, mais de gémissements étouffés. L’homme qui s’oppose disparaît dans la nuit. L’homme qui parle est réduit au silence. L’homme qui ose est fauché comme une herbe folle.

Un peuple asservi et achevé par l’aumône

Mais le crime ne s’arrête pas là. Non content de voler la liberté, voilà que le pouvoir s’acharne à détruire la dignité. Il ne suffit plus d’être opprimé, il faut aussi être humilié, dressé comme un animal qu’on nourrit juste assez pour qu’il ne morde pas. Voyez ces cortèges de ministres, ces processions de faux sauveurs distribuant du riz, du sucre et quelques pièces comme on jetterait des restes aux affamés ! Voyez ces spectacles d’indécence où l’on achète le silence du peuple avec quelques sacs de vivres pendant que les palais débordent d’opulence et que les dignitaires gonflent leurs coffres d’argent volé !

Et pourtant, Martin Luther King nous avait avertis : « Celui qui accepte le mal sans lutter contre lui coopère avec lui. » Ce peuple que l’on soudoie avec des miettes, ce peuple que l’on muselle avec des faux espoirs, n’est pas un peuple libre. Le peuple n’a pas besoin de charité, il a besoin de justice. Il n’a pas besoin d’aumône, il a besoin d’un État. Mais au lieu d’édifier des écoles, ils dressent des tentes pour des meetings de propagande. Au lieu de bâtir des routes, ils impriment des slogans. Au lieu de servir, ils se servent.

Et pour masquer leur imposture, ils inventent des idoles. Sogué Nènè, « le nouveau soleil », osent-ils proclamer ! Mais ce soleil n’éclaire rien, il brûle tout. Ce n’est pas un astre, c’est un brasier qui consume les libertés, qui embrase les espoirs et qui ne laissera derrière lui que cendres et désolation. « L’histoire nous l’enseigne : un trône bâti sur l’injustice et le mensonge ne résiste pas à l’ouragan de la vérité. »

Mais Jusqu’à Quand ?

Le silence ne sauvera personne. L’aveuglement volontaire ne retardera pas l’inévitable. Car l’attente est complice de l’oppression. Ceux qui se taisent sont les pavés sur lesquels marchent les tyrans. Ceux qui baissent la tête creusent leur propre tombe. Si nous laissons faire, si nous nous habituons à l’inacceptable, alors nous mériterons la nuit qu’ils nous imposent.

Karl Marx l’avait souligné avec justesse : « L’histoire est un processus, et nous sommes ses acteurs, non ses spectateurs. » Le monde n’évolue pas sous le regard passif des opprimés, il se transforme sous l’impulsion de ceux qui refusent le joug. Nous sommes en train de décider, par notre silence ou par notre action, du sort de notre nation.

Il faut briser la peur. Il faut refuser l’aumône et réclamer des droits. Il faut refuser les discours creux et exiger des comptes. Il faut arrêter de supplier et commencer à exiger. Car un peuple ne se sauve pas par procuration.

Le choix est simple : vivre libre ou mourir lentement sous le poids de la servitude.

 

Aboubacar Fofana, chroniqueur